Attente, réflexions et chimères

Plusieurs minutes passèrent. Au fur et à mesure que le temps passait, les stigmates saignaient moins. Au bout de cinq minutes ils se résorbèrent soudainement, comme à l'habitude, ne laissant pas même l'ombre d'une cicatrice dans le dos d'Ayame. Puis un quart d'heure entier coula. Dans sa tête, rien ne se passait. Pas l'ombre d'un souvenir, pas l'ombre d'un rêve ne venaient troubler cette inconscience salvatrice dans laquelle elle s'était involontairement plongée. Puis sa conscience se raviva, comme si on en avait soufflé sur les braises, que si une flamme s'en était échappé pour reprendre le cours normal de sa combustion. Ses paupières papillotèrent trois secondes, ce avant de s'ouvrir complètement. Son visage avait retrouvé une expression sereine... Mais peut-être un peu atone. Son regard n'exprimait plus que vide. Et la réalité était là: elle se sentait vidée. Plus aucune pensée ne traversait son crâne. Ce n'était peut-être pas plus mal... Ca lui faisait, en un sens, un bien fou. Elle resta immobile, léthargique, durant quelques dix secondes. Puis elle souffla, et cessa de regarder le mur, afin de détailler ce qui se trouvait autour d'elle.

Où était-elle...? Une chambre... Ah... oui. La chambre de Kureno même à en croire ce qu'elle voyait... Elle se souvenait vaguement de leur "dispute"... Elle avait craqué... Et voilà où elle en était maintenant. Le visage de Kuro se trouvait dorénavant dans son champ de vision... Il semblait au bord des larmes et avait les yeux rouges... Il était resté là tout ce temps? L'ombre de la culpabilité rembrunit son expression déjà peu fameuse. ce serait le premier sentiment qu'elle retrouverait, Ô joie. Depuis combien de temps était-elle inconsciente...? depuis combien de temps la veillait-il? Il aurait mieux fait de la porter à l'infirmerie, quoique son organisme ne fut pas franchement à montrer au premier médecin venu, sous peine de finir en rat de laboratoire, ou du moins de ne plus jamais trouver la paix.

Elle se sentait vidée oui... De tout, et d'énergie aussi. Son corps réagissait au ralenti... C'est avec une lenteur qui ne lui ressemblait pas qu'elle posa les mains sur le matelas, puis qu'elle prit appui sur ses bras, pour se redresser, s'asseoir contre le lit. Elle se rendit compte qu'elle était pieds nus... Un sourire pâle la gagna, et elle jeta un regard en coin sur Kureno. Il ne changerait jamais hein..? Ca aurait du lui faire plaisir, mais en un sens c'était désespérant. Elle avait peur de ce qui adviendrait par l'avenir... Peur du moment où il lui faudrait tout casser. Et peur de l'effet que ça aurait sur Kuro. Y avait-il un moyen de lui épargner ces souffrances..? Bref. Si elle n'y prenait pas garde, les prises de tête allaient revenir, d'un coup, et elle serait bonne pour une deuxième séance craquage. Ca ne lui allait pas, pas du tout.

"C'était pas la peine d'en faire autant, j'allais pas crever tu sais..."

Pourquoi la malice dans sa voix sonnait-elle faux..? Quelque chose n'allait désespérément pas, ou bien plus... et ce n'était pas d'essayer de faire semblant qui y changerait quoi que ce soit. Un ricanement désabusé lui échappa. Elle passa une main contre son visage comme pour se réveiller, remonta ses genoux à elle, posa ses coudes sur ceux-ci puis ses mains derrière sa nuque, tête basse, yeux de nouveau morne, dénués d'expression, comme d'espoir.

"Ca me pendait au nez j'imagine... Les quatre derniers jours on pas été simples. surtout hier soir et ce matin... Désolée."

Elle ne se leva pas suite à ça. Elle se sentait vraiment amorphe... Pour le moment elle préférait rester. D'autant que fuir Kuro après ça, sans aucune explication décente, aurait été malvenu. Non... Il méritait tout de même plus d'égards que ça. Quitte à ce qu'elle doive prendre sur elle. Tout à l'heure elle n'en avait plus été capable. Là, ses capacités à supporter un peu tout et n'importe quoi étaient de retour. Pour l'instant.

Cinq minutes. Dix minutes. Une demi-heure. Deux heures. Kureno ne savait pas dans combien de temps elle se réveillerait, mais il avait décidé de l'attendre pendant tout ce temps. Elle avait déjà perdu sa forme féminine à cause d'un manque de bienveillance de sa part... Il ne voulait pas recommencer. Elle avait besoin de se reposer après tout, malaise ou pas. Alors il s'était arrangé pour qu'elle puisse se reposer le plus longtemps possible. Pas forcément à ses côtés, mais... Il voulait éviter un nouveau malaise. Elle n'avait pas besoin de ça, elle avait bien assez de problèmes comme ça. Aussi, quand Ayame reprit connaissance, le jeune homme n'alla pas tout de suite l'interpeler. Il la regarda simplement, sans dire un mot, profondément soulagé. Il se doutait qu'elle allait se réveiller, mais au moins, elle n'avait pas trop tardé à le faire. Ca n'avait pas l'air si grave que ça. Il la laissa émerger à son rythme, sans aller l'importuner. Quand la jeune femme tourna le regard dans sa direction, Kureno afficha un petit sourire, histoire de la rassurer. Pourtant, le sourire ne resta pas bien longtemps. Elle ne s'en était peut-être pas rendu compte, mais elle venait de le démoraliser avec sa boutade qui n'en était pas une. "Elle n'allait pas crever" ? Autant traiter Kureno d'imbécile, parce qu'il y avait cru durant quelques instants de panique. Quant au fait qu'il n'avait pas à en faire autant... Il répondit sur un ton vaguement amusé, un petit sourire ironique aux lèvres.

"Oui, bien sûr, j'aurais pu te laisser dans le couloir en pensant que tu finirais bien par te réveiller..."

"C'était pas la peine d'en faire autant"... Mais de quoi parlait-elle ? Il avait fait ce qu'il fallait, rien de plus. Ou tout du moins, pas grand-chose en plus. Ce n'était pas comme s'il s'était habillé en soubrette pour lui servir un déjeuner copieux, avec strip-tease en prime. Kureno détourna le regard, gêné... Lui qui était si inutile en temps normal, ne pouvait-il pas lui faciliter la vie ? Lui rendre service ? Peut-être qu'il avait pris la réplique de son amie trop au sérieux, mais tout de même... Lui qui pensait n'être qu'un poids mort à ses yeux, lui qui craignait constamment d'avoir moins de considération à ses yeux qu'un étranger... Cela renforçait ses doutes. Rien que d'y penser, il avait envie de pleurer. Encore. Rajoutez la qualité "Pleurnichard" sur sa fiche, siouplaît, merci ! Misère. Le voilà à saigner à force de se mordiller la lèvre. Heureusement qu'il avait le visage détourné, et que celui d'Ayame était baissé. Ca ne l'aurait pas fait. Quoique non, ça ne le faisait pas. Il était en train de se mutiler à petits feux, mentalement et bientôt physique, parce qu'il n'arrivait pas à accepter une réalité. C'était pathétique. Et Ayame qui s'excusait d'avoir eu un malaise ! Bien sûr que ça lui pendait au nez, après tout ce qui lui était tombé dessus... Il y avait de quoi. Quelqu'un d'autre aurait sûrement craqué depuis longtemps. Comme lui. Un soupir siffla entre ses lèvres, peu avant que sa réponse ne fit de même.

"Pourquoi tu es désolée... ? C'est toi la victime dans cette histoire."

Dès que sa propre réplique arriva à ses oreilles, Kureno eut l'envie de renforcer la morsure. Tel qu'il connaissait Ayame, ça allait sonner comme de la pure naïveté à ses yeux. Et ça allait faire comme tout à l'heure, elle ne l'écouterait pas. Il se retourna vers la jeune femme pour lui parler plus franchement.

"Je veux dire... Tu n'es pas obligée de tout prendre sur toi, tu sais ? C'est à ça que servent les amis après tout. Je comprends que ces derniers jours ont été difficiles pour toi. Moi je n'ai rien connu de tel... Alors surtout, si tu as besoin de quelque chose, n'hésite pas à me le demander. D'accord ?"

Sans le vouloir, il avait étiré ses lèvres pour dessiner un petit sourire amical, complice. Il voulait se rendre utile, au moins une fois dans sa vie. Mais... Il était en train de rêver debout là. Comme il l'avait dit, si elle avait des amis, c'était pour qu'ils puissent l'aider. Mais lui... Etait-il encore un ami à ses yeux ? N'était-il pas la cause de ses soucis ? Et accessoirement, ou pas, si Ayame avait eu un malaise... N'était-ce pas à cause de lui ? S'il avait su, il l'aurait laissée, hein ? Son sourire disparut, tandis qu'il penchait la tête. Il ne voulait pas paraître démoralisé, mais il avait du mal à cacher ses déceptions vis-à-vis de sa personne.

"Alors... Si tu veux que je te laisse seule, tu peux me le dire."

Il ne savait pas s'il avait bien fait de dire ça comme ça. D'un côté, ça pouvait montrer qu'il s'efforçait d'être indépendant à son égard. De l'autre... Ben. Ca sonnait un peu comme un "Avoue que tu veux plus de moi !"... Mais qu'importe de toute façon. Ce n'était pas comme s'ils allaient se remettre ensemble, si ?

Eh ben voilà... En essayant de détendre l'ambiance elle avait encore réussi à dire une connerie. Oui non, bien entendu qu'elle n'aurait pas pensé que Kureno la laisserait traîner dans le couloir jusqu'à son réveil suite au malaise qu'elle venait de faire, mais ce qu'elle voulait dire par là en lui faisant comprendre qu'il n'avait pas à en fait autant...

"Ce que je veux dire par là c'est que tu aurais pu juste me poser dans un coin et attendre que je me réveille en t'occupant de ce que tu as à faire, c'est pas comme si je risquais grand chose... dorénavant."

Coup d'oeil rapide, sourire léger... Elle voyait bien que la situation était difficile pour Kuro, elle en était désolée, mais les choses étaient ce qu'elles étaient. Et la vérité c'est que son organisme commençait à ne plus rien avoir d'humain... Alors confortablement installée sur un lit ou bien compressée dans un coffre de bagnole elle se serait remise tout pareil... Là, il ne fallait pas être devin pour voir que Kureno avait fait son possible pour faciliter une récupération qui n'avait pas besoin de ça. Les coussins, la position dans laquelle elle s'était réveillée... Bref. D'un autre côté, c'était quelque chose qu'il ne pouvait pas savoir, vu que son état physique changeant faisait partie des trucs qu'elle lui avait caché pour éviter de l'inquiéter. Le même genre de trucs qu'elle avait décidé de lui révéler ce matin, parce qu'elle n'en pouvait plus de lui faire des cachotteries. Le même genre de trucs qu'il lui reprochait de garder pour elle, à raison, puisqu'elle n'arriverait pas à tout lui dire. Elle était peut-être une victime en un sens mais elle était aussi le "criminel"... De là... elle préférait qu'on ne la plaigne pas trop, et qu'on se méfie suffisamment de ce dont elle aurait été capable. Elle était en pleine tempête sentimentale, elle culpabilisait faute à son amour double, et parce que Kuro était définitivement trop sympa avec ce qu'elle se sentait être, trop pur pour elle, comme si elle n'avait pas mérité un truc pareil... Mais visiblement, Kureno prenait tout ça pour lui. D'un côté ça se comprenait.. Elle l'avait jeté. Il était vrai qu'elle ne savait plus où elle en était dans sa relation avec lui, et que soucieuse de faire le vide pour mettre les choses au clair elle avait fui. Mais...

"Ecoute... J'ai vraiment besoin d'être seule là. Je déconnais pas tout à l'heure... Mais comme je te l'ai dit c'est pas contre toi spécialement. C'est juste que je m'y perd... Je retrouve des souvenirs qui s'étalent sur des millénaires alors que de cette vie j'ai juste qu'une vingtaine d'années en réserve, j'arrive plus à jauger l'importance de tels ou tels trucs... Je suis quasi sûre de t'avoir connu avant, d'une manière ou d'une autre, donc mes sentiments à ton égard sont pas clairs. J'explose et j'ai besoin de solitude pour remettre tout ça dans les bonnes cases, même si je sais pas si j'arriverai à le faire de façon définitive... Mais..."

Elle soupira, et détourna la tête. C'était laborieux de passer aux aveux, aux explications, surtout qu'elle en avait expliqué une bonne tranche déjà...

"... Je te cache pas mal de trucs, je sais que tu t'en rends compte, et au départ j'avais décidé d'être honnête avec toi je voulais tout te dire pour qu'on soit clairs... Sauf qu'il y a des trucs dont j'arriverai pas à parler. Cela dit on en a peut-être pas tout à fait terminé pour aujourd'hui finalement..."

Distraitement, elle passa une main par dessus son épaule, dans son dos...

"... Elles sont réapparues non?"

Elle l'avait senti avant de tourner de l'œil. Et si c'était le cas, elle n'allait certainement pas laisser le mystère s'épaissir autour de ces plaies qui partaient aussi vite qu'elles étaient apparues, à intervalle irrégulier mais un peu trop fréquemment à son goût. Il fallait qu'il sache de quoi il en retournait, sinon il allait s'inquiéter... en un sens pour rien.

Laisser Ayame dans un coin et attendre que ça passe ? Oui, bien sûr, comme s'il avait su exactement pourquoi elle s'était évanouie, et pourquoi elle avait ces stigmates dans le dos. Même s'il ne l'avait pas connue, Kureno se serait inquiété et il l'aurait aidée de la sorte. Quant à s'occuper de ce qu'il avait à faire... Ha, ha. Le sourire ironique de Kureno se fit plus large quand il entendit ça. Comme s'il avait quelque chose à faire ! Il avait passé quatre jours à se ronger les ongles tellement il avait peur de ce qui allait lui arriver ! A part ça il était débordé le Kuro. Mais pour qui le prenait-elle ? A ce stade, Kureno n'était même plus blessé par les remarques d'Ayame. On dirait qu'elle faisait tout pour qu'il la laisse tranquille... Tiens, s'il avait su, il l'aurait vraiment laissée dans le couloir. Ca aurait évité à la jeune femme de devoir supporter sa présence quelques minutes de plus. Et à Kureno, cela lui aurait évité de nouvelles déceptions.

Le coup suivant par contre, il s'y était attendu. "Salut, je te remercie pas pour avoir voulu aider, s'il te plait je peux être seule maintenant ?"... Ayame n'était certes pas du genre facilement reconnaissant, mais bon. Au moins, elle ne jouait pas les hypocrites, c'était déjà ça. Quoique... Elle aurait pu s'arrêter là, mais elle en remettait une couche sur ses nouveaux souvenirs. Oui, elle avait besoin d'être seule, oui, elle avait l'esprit embrumé. Kureno l'avait très bien compris depuis tout à l'heure... Simplement, tout à l'heure, le comportement d'Ayame l'avait blessé. Mais ce n'était pas grave après tout ! Ce n'était que Kureno, la petite flaque innocente que tout le monde adore piétiner. A la voir revenir là-dessus, on aurait dit qu'elle le prenait vraiment pour un idiot. Ou qu'elle se cherchait des excuses pour être tranquille. Un simple "Excuse-moi, tu peux me laisser ?" aurait suffi... Ce besoin constant de devoir s'expliquer le mettait mal à l'aise. D'ailleurs, il préféra ne pas répondre. Il hocha simplement la tête, doucement, avant de se relever. Il allait s'apprêter à partir...

Mais Ayame venait de lui faire un aveu. Quoique non, pas vraiment. Elle lui cachait des choses... ? Il l'avait remarqué, oui. Mais ce n'était pas grave, ils n'étaient pas ensemble ! Personne n'était obligé de tout raconter à ses amis vagues connaissances, hein ? Bref, le nuage invisible avec marqué "Complexe d'infériorité" grossissait à chaque seconde, même si ce n'était pas forcément à cause d'Ayame ou de son comportement. Et hein, pourquoi lui avouer qu'elle lui cachait des choses si c'est pour affirmer ensuite qu'elle ne pourrait pas tout lui dire ? A rien. Juste à le frustrer davantage. "Hé Kuro, j'ai un bonbon pour toi, sauf qu'en fait je vais le manger toute seule, na !"

"Te fatigue pas, t'es pas obligée de tout me raconter non plus."

Ca, il n'avait pas pu s'empêcher de le dire. Ayame n'avait pas à se forcer si c'est pour le démoraliser inutilement, ils n'avaient pas besoin de ça, l'une comme l'autre. Il voyait déjà le tableau de toutes façons... Angra insistait pour le faire et comme j'étais en manque, on a... Oups ? Ayame en train de partager son lit avec un vrai mâle, ce n'était pas la meilleure image mentale qu'il aurait pu avoir en tête ! Complexe +12 mon p'tit bonhomme ! Inconsciemment, il fronça légèrement les sourcils et se mordilla les lèvres, plus durement que tout à l'heure. Pourquoi restait-il là à l'écouter alors qu'elle ne faisait que lui dire implicitement ce qui était évident ?! Elle était quasiment sûre de l'avoir rencontré avant ? Il était quasiment sûr du contraire. Elle avait peut-être vu des similitudes avec l'un de ces démons bien membrés tout droit sortis d'un yaoi... Oups² ! Cette fois-ci, il se leva pour de bon, prêt à prendre la porte. Mais avant cela, elle lui posa une question. "Elles sont réapparues non ?" ... Kureno se retourna vers elle, curieux. Elle passait la main dans le dos... Il se demandait ce qui aurait pu apparaître dans son dos. Les stigmates ? Non, Kureno pensa à autre chose. Elle était une ange déchue, non ?

"Si tu parles de tes ailes, je ne les ai pas vues."

Il les voyait d'ici ses ailes. Pas avec des plumes, non. Des ailes translucides, comme des ondes aux couleurs des flammes. Magnifiques et maléfiques à la fois, tout comme le chant qu'ils produisaient... Heu ? Comment Kureno avait-il pu improviser un tel design en quelques secondes ? Peu importe. Il se retourna pour de bon en direction d'Ayame, pour s'exprimer sur un ton calme, mais nettement plus sérieux et sec que tout à l'heure.

"Je voulais te dire... Arrête d'essayer de me ménager. Je n'ai pas besoin de ça, pas maintenant. Si tu veux me parler franchement, fais-le. S'il y a quelque chose que tu veux absolument me dire, fais-le. Mais s'il y a quelque chose que tu veux garder pour toi... Tant pis. On a tous nos petits secrets de toute façon."

Au fur et à mesure qu'il s'exprimait, ses yeux mutèrent petit à petit. En réalité, ils changeaient progressivement de couleur depuis tout à l'heure. Le noir de la pupille était comme un trou qui s'ouvrait petit à petit, pour engloutir la flaque turquoise. C'était un peu... la matérialisation de son nuage. A la fin de sa courte tirade, ses yeux étaient quasiment devenus comme ceux d'un L après une bonne dose de café. Ils commencèrent à picoter... Et inconsciemment, il les ferma pour les frotter doucement, du dessus de l'index.

"Et... Je pense que tu te trompes à mon sujet. Tu dois me confondre avec une de tes vieilles connaissances, ou quelque chose comme ça."

Il retira son doigt et rouvrit deux yeux redevenus normaux. Il se sentait un peu mieux, maintenant qu'il lui avait dit ce qu'il pensait. Il affichait même un petit sourire sur ses lèvres. Si tout à l'heure, il avait quand même été un peu en colère... Maintenant, il allait comme un charme, ou presque. Bon ! Tout était dit alors. Il n'avait plus beaucoup de raison de rester, puisqu'il avait bien dit à Ayame qu'il voulait seulement lui rendre service. Et c'était ce qu'il allait faire.

"Enfin, puisque tu as besoin d'être seule, je ne t'embête pas plus longtemps. Je vais faire un tour, en attendant que tu aies de nouveau les idées claires."

Autant dire que cela pourrait prendre du temps. Bref. Un dernier regard en direction de la jeune femme, et sans plus tarder, il se tourna vers la porte...

[bon c'est nimp >.> je galère...]

Ayame avait tout de même un peu de mal à comprendre les réactions de Kureno... Certes, elle devait l'avoir déçu sur bien des points mais... Elle faisait de son mieux! Et Dieu - heum heum - savait que ce n'était pas facile pour elle d'essayer d'être la plus franche possible en ces conditions... Elle était sur le point de craquer, elle n'arrivait pas à tout lui dire, elle avait besoin de solitude... Eh bien quoi? C'était humain - ou pas - après tout! Elle n'était pas parfaite ni infaillible, et elle ne savait pas ce qu'elle avait fait pour mériter ce silence, cette... presque... indifférence? Ce n'était pas dans les manières habituelles de Kureno, il ne fallait pas être bien malin pour comprendre que quelque chose ne tournait pas rond... Bref. Elle garderait ça pour elle... Puisque ça devait arriver, c'est sans doute que ça l'était, mérité. Et si Kureno pouvait s'éloigner d'elle, eh bien la cassure serait toujours moins dure pour lui à l'avenir. Sauf qu'elle voulut revenir sur la question des stigmates, et que la réponse qu'elle se paya en pleine tronche, toujours aussi expéditive, parvint à lui faire monter la moutarde au nez. Un regard aigu fut lancé sur Kureno, et acerbe, elle ne put s'empêcher de commenter:

"Ca, rien de plus normal.."

Puis il reprit, et ce qui se passait avec ses yeux manqua bien de lui faire perdre le fil de la conversation... Sa pupille grossissait à un point inimaginable et... Euh... Elle quitta son air perplexe, décidément agacée. Les détails techniques seraient pour plus tard. Après tout, Kureno était capable de se changer en eau, alors le coup de la pupille après tout, ça n'était pas si étonnant.. Peut-être était-il en train d'évoluer lui aussi... Cette idée lui donnait la chair de poule, mais le moment n'était véritablement pas à s'arrêter là dessus. Elle avait l'impression que la discussion qu'ils étaient en train de tenir risquait d'avoir pas mal d'impact sur leur futur. Cet abruti comptait sortir pour la laisser seule qui plus est... Genre. Elle allait le virer de sa propre chambre. Soufflant de rage elle se releva à son tour, et d'un pas sec avança pour le dépasser, et se positionner entre lui et la porte. Elle était irritée, et ça se sentait... Elle allait lui remettre les pendules à l'heure un bon coup...

"Au cas où tu ne l'aies pas remarqué, J'ESSAIE d'être franche depuis tout à l'heure, j'essaie de te dire tout ce que j'estime que tu dois savoir, parce que... Kuro. Tu es la première personne en qui j'aie jamais eu totalement confiance. J'ai plus de famille... Et tu fais partie des seuls qui connaissent ma véritable identité. Je peux pas te promettre que je n'aurai jamais d'autre personnes comptant beaucoup pour moi... Mais ça ne change rien. Jusqu'à ce que je perde ce qu'il me reste de ma vie ici... Ca change rien. Et notre couple n'a rien à voir là dedans. Tout ce que je t'ai dit, je l'ai fait parce que tu avais le droit de savoir mais aussi parce que j'avais BESOIN de le partager avec toi. D'accord?"

Elle passa une main dans ses cheveux... C'était une première part de l'aveu qu'elle avait à lui faire concernant Angra... Le second ne viendrait pas. Elle n'y arriverait pas... En un sens, elle avait trop peur de sa réaction. Trop peur de casser le peu de ce qui restait entre eux définitivement, même si elle savait qu'elle finirait par rompre pour le libérer. Elle savait qu'il ne voulait pas être ménagé, mais... Elle ne pourrait pas s'empêcher de vouloir le protéger d'elle-même. C'était sa responsabilité, il n'avait pas à en souffrir pour elle. A point c'est tout. Ce n'était pas un problème de confiance... Elle savait qu'il aurait souhaité la soutenir jusqu'au bout, et ce sciemment, cela dit c'était quelque chose qu'elle avait décidé de faire seule. C'était paradoxal... elle voulait à la fois tout lui dire, et tout garder pour elle pour l'empêcher de pâtir de sa réalité...

"Tu dois penser que je raconte n'importe quoi, que je dis un truc et son contraire dans la même minute, et t'auras pas complètement tort mais... Voilà. Je voulais te parler des plaies derrière mon dos, histoire que tu ne t'inquiètes pas outre mesure... Elles sont inoffensives. Douloureuses, mais inoffensives. Avant de se retrouver ici, la part de moi qui correspond à Samaël a eu les ailes arrachées. Considère ça comme un souvenir du passé qui risque de revenir me hanter de temps à autre..."

Elle releva la tête, pour le regarder au fond des yeux - qui étaient redevenus normaux nota elle. Elle allait partir. C'était à elle de s'exiler, pas à Kureno.

"Bon. Maintenant je vais partir, te fatigue pas. On en parlera plus tard, si tu veux des détails... Mais avant ça... Est-ce qu'il y a quelque chose que tu veux savoir... en particulier? Si c'est le cas dit le moi... surtout. J'ai l'impression que... enfin..."

Elle soupira, sans le lâcher des yeux. Les siens avaient pris la teinte à la fois de la douleur et de la contrariété. Quelque chose n'allait définitivement plus entre eux... Mais elle n'était pas prête à l'accepter.

[Buh, j'espère aussi que ça ira. x_x *malokrane*]

"Ca, rien de plus normal" ? Vraiment ? Kureno ne s'en était pas tellement soucié. Le péché de l'Envie se résumait à une chose : Soi-même. Et là, ce péché était en train de l'envahir, comme l'eau a envahi le Titanic après le "I am the king of the world". Il en avait assez d'être attentif, attentionné, gentil. C'était nul d'être gentil de toute façon. Ca faisait de vous un être faible, et tout le monde en arrivait à vous marcher dessus. Bref. Kureno avait décidé de partir, et il n'allait pas se retenir plus longtemps... Enfin. Il n'aurait pas prévu qu'Ayame en vienne à se positionner devant lui. Il écarquilla légèrement les yeux, de surprise. Elle était en train de s'exprimer sur un ton... irrité. Elle essayait d'être franche avec lui ? Elle avait... confiance en lui ? En temps normal, Kureno se serait jeté contre elle pour s'excuser d'avoir agi comme un imbécile. En temps normal. Là, il fut certes ravi d'apprendre qu'il avait été la première personne digne de confiance à ses yeux. Et pas qu'un peu. Mais cela fut vite pallié par ce qu'il semblait être un aveu. Il n'eut même pas le temps de sourire un instant. D'une part, il y avait le fait qu'elle semblait tenir à un autre, ou qu'elle risquait dans l'avenir de tenir à un autre autant qu'à lui. Voire plus. Et ensuite, il y avait le "Jusqu'à ce que je perde ce qu'il me reste de ma vie ici" qui le rendait perplexe. Est-ce que ça voulait dire qu'Ayame allait le lâcher une fois sa part non humaine complètement assumée ? Si c'était ça, c'était peu rassurant de savoir qu'elle tenait à lui pour un temps limité. Mais elle avait été franche, et il lui en était reconnaissant. Elle n'avait pas à lui mentir après tout... La chute serait moins dure au moins. Mais peut-être se trompait-il ? Peut-être qu'elle doutait, mais qu'au fond, elle tenait encore à lui. Non ?... Non. Il en avait assez de rêver.

Il fut au moins rassuré de savoir qu'elle voulait tout de même partager tout ça avec lui, malgré tout. Mais ça ne devait pas aller plus loin. Cette fois-ci, même un coup de punch d'Ayame ne lui ferait pas retrouver le sourire. C'était assez douloureux de se rendre compte qu'au fond, elle tenait à un homme (non, un démon) qui rêvait de le briser, plutôt qu'à lui. Enfin, il s'en moquait. C'était fichu malgré tout, même si Kureno avait donné tout ce qu'il avait, cela n'aurait sûrement pas ramené Ayame vers lui. Même s'il lui proposait de tenter une relation en ces circonstances... Elle refuserait probablement. Toutefois, Kureno s'en voulait sur un point. La jeune femme venait de lui parler de ses stigmates, en précisant que le "Samaël" avait perdu ses ailes. Elles avaient été arrachées. Kureno eut une brève image mentale assez terrifiante là. Il venait de s'imaginer Ayame se faire retirer brutalement les magnifiques membranes qu'il lui avait imaginées, plus tôt. Inconsciemment... Une larme coula de son oeil écarquillé. Puis Kureno reprit ses esprits. Il essuya rapidement sa larme, gêné.

"D... Désolé. Je ne savais pas..."

Il replaça ses yeux dans le champ de vision de la jeune femme. Celle-ci allait partir ?... Mais ! Elle avait besoin de se reposer, non ? Kureno aurait voulu qu'elle reste, au cas où. Mais elle ne changerait pas d'avis comme ça, il ne le savait que trop bien. Il hocha donc la tête, doucement. Puis il parut surpris, quand elle lui demanda s'il voulait savoir quelque chose. Des détails ? Euh... Il aurait bien été tenté de lui demander confirmation pour Angra, mais ça aurait été déplacé. Surtout si ça n'était pas vrai. Quant au reste... Il ne voulait pas l'embêter avec les souvenirs douloureux du passé. Kureno demeura silencieux un petit moment. Il ne pouvait pas lui répondre un "Non rien" indifférent. Il était curieux d'en savoir plus sur ce qu'elle lui cachait, mais... Pour le moment, une seule chose le perturbait vraiment.

"Est-ce que tu es heureuse ?"

Un ton calme, pas d'expression particulière sur le visage. Toutefois, au fur et à mesure qu'il explicitait sa question, son regard tendait à refléter les mêmes émotions que celui d'Ayame.

"Est-ce que tu es satisfaite de tout ce qui t'es arrivée ? Est-ce qu'au fond de toutes ces mésaventures, n'y a-t-il pas quelque chose que tu ne regrettes pas ? Et... Si un jour, tu avais la possibilité de revenir en arrière, est-ce que tu le ferais ?"

Ce n'était pas une question piège. Certes, la dernière concernait plus particulièrement son corps, car il était curieux de savoir si elle désirait réellement retrouver son ancien physique, à l'heure actuelle. Mais... Ce n'était là que de la simple curiosité. Il tenait à savoir ce qu'elle ressentait, mais il savait qu'il n'y changerait rien si quelque chose n'allait pas. Malheureusement. Toutefois... Cela pouvait sembler indiscret de sa part de lui demander ça comme ça. Elle pourrait s'en sentir vexée, même si cela n'avait pas été le but. Il... Il avait agi bêtement, une fois encore. Il se mit à rire doucement, d'un air gêné, tout en passant une main dans la nuque.

"Excuse-moi, je raconte n'importe quoi... Pour le reste, on pourra en reparler après, si tu es toujours d'accord."

Il retira sa main pour la poser le long de sa cuisse, et lui afficha un petit sourire amical.

"Va plutôt te changer les idées, ça te fera du bien."

Et peut-être qu'à lui aussi, ça lui ferait du bien. Mais il en doutait.

Ayame retint une bribe de sourire. Pas la peine de s'excuser, concernant ses ailes. Si elle les avait perdue, ce n'était pas de sa faute après tout... ('_'). Elle ne se rappelait plus de comment tout ça était arrivé... Elle savait juste que Lucifer, cet enfoiré, avait profité d'une situation qui ne le méritait pas, pour la sanctionner en la privant de ce qui faisait sa fierté, de ce qui avait rendu Samaël majestueux... Et lui avait fut un temps donné ses chances de devenir comme son détesté "ainé". Pas de quoi en vouloir éternellement à Kureno, même si, certes, il l'avait blessée. Chacun son tour de faire mal à l'autre comme qui dirait... enfin bon. Le sujet le plus important n'était pas là. Elle voulait savoir, si il y avait quelque chose, quelque chose d'important, que Kureno voulait savoir. Si c'était le cas, si cette chose le troublait, elle se promettait de répondre franchement... Dusse t-il s'agir de la vérité concernant Angra. Elle pouvait supporter de lui mentir par omission... Mais si il avait des doutes, si il lui posait clairement la question qu'elle redoutait, elle répondrait. Il méritait sa franchise après tout... Si elle devait lui cacher des choses, ce devait être pour son bien, et pas pour que ça le bouffe, le ronge encore plus.

Ceci dit, c'est une question bien différente à tout ce qu'elle avait attendu qui lui fut posée. Une question qui manqua bien de faire décrocher sa mâchoire... Ses yeux s'arrondirent, et perplexe, son cerveau tourna à vide quelques secondes. Est-ce qu'elle était... heureuse...? C'était une blague, ou bien...? Mais Kureno ne tarda pas à détailler, et elle comprit mieux ce qu'il voulait savoir... C'était à propos de ce qu'elle était, de ce qu'elle avait été... de ce qu'elle regrettait et... de ce qu'elle ne regrettait pas, ou plus. Ayame resta plus ou moins bouche bée, et pensive, durant quelques secondes, remarquant à peine que Kureno perdait confiance et semblait vouloir comme passer à autre chose... N'importe quoi...? Non il ne racontait pas n'importe quoi... Il ne racontait absolument pas n'importe quoi... cette question était pertinente... Il lui semblait presque comme... reprendre pied là où elle l'avait perdu. Alors pour ce qui était de se changer les idées, certes mais... Avant ça, elle allait répondre. C'était devenu important pour elle, de mettre ça au clair. Maintenant.

"Kureno... Je vais te répondre. Non, je ne suis pas heureuse. J'ai jamais été aussi malheureuse de ma vie, que je le suis en ce moment. Je perd pied, je ne sais plus où j'en suis, qui je suis, qui je deviens..."

Elle secoua légèrement la tête de gauche à droite, très légèrement... Elle cherchait les mots. Ils n'étaient pas faciles à trouver. Surtout quand on voulait s'exprimer de façon claire, et concise... . Puis ils vinrent, et elle reprit, on ne peut plus grave; posée. C'était très sérieux, là... c'était quelque chose dont ils auraient du parler depuis longtemps en fin de compte. Mais... Il y aurait fallu qu'elle l'assume, ce qui à l'époque n'était pas le cas. Là... Tout était différent. Elle avait vraiment... changé.

"Mais si je suis malheureuse, ce n'est plus du tout pour les même raisons qu'avant... Je veux dire... Je regrette qu'entre nous ça soit compromis mais... Je ne pourrais me contenter de ce que j'étais avant. Cette apparence est mienne dorénavant... Je ne ressens plus le besoin de retrouver l'autre... Si je souhaiterais le faire, c'est strictement pour toi. Et je ne me sentirais moi même que si je regagnais la capacité de changer, comme avant..."

Petit sourire en coin, tandis qu'elle repensait à l'instabilité de ses transformations passées:

"Bon. Un peu plus contrôlables, qu'avant plus exactement. Mais voilà... L'époque où je complexais rien qu'à l'idée que tu puisses ne pas me considérer comme une femme à part entière est révolue... Je n'en suis pas une, ou bien plus une, et rien ne pourra changer ça dorénavant... Mais tu sais... Ma priorité dorénavant, c'est de réussir à me contrôler, dans... mon intégralité."

Elle baissa les yeux puis souffla. Elle se sentait lourde de responsabilités, l'angoisse qui l'écrasait était assez insupportable, et des fichues larmes étaient à nouveau en train de monter mais... elle renifla légèrement, et succomba à une envie sortie d'elle ne savait trop où. Si elle avait douté de ses sentiments envers Kuro, à cause de ceux qu'elle avait dorénavant pour Angra, à cause de ce qu'elle comptait faire à l'avenir, et à cause de tout, elle avait désormais la confirmation qu'ils étaient toujours là, vifs, douloureux, juste un peu ankylosés sous tout le reste... Elle passa ses bras autour de son corps, et cala son visage dans ses cheveux, le temps d'une étreinte rapide. Ses sentiments devenaient durs à maîtriser... Elle huma les chevelure de son ami et... se rendit compte qu'elle était dors et déjà en train de laisser une main baladeuse couler du côté de sa hanche, se rendit compte que ses tendances possessives étaient de nouveau en train de prendre le pas sur elle... Un coin "hétérosexuel" de son esprit était même en train de fantasmer honteusement, imaginant que son ami fut une femme... c'était douloureux. Douloureux de voir que leur relation était entachée par de telles choses... Maintenant qu'elle n'était plus celle qu'elle avait été. Elle prit une grande inspiration, puis quitta son étreinte. Une larme venait de décoller de son œil, et elle l'essuya rapidement, détournant les yeux.

"Si je devais te faire du mal suite à un changement... d'humeur, je pourrais pas me le pardonner... Je vais sans doute devoir aller contre ta volonté... Mais vraiment... Je dois m'en occuper."

Bref sourire... Ca devenait gênant. Elle se retourna, prête à partir pour de bon ce coup-ci. Elle y voyait plus clair que quelques secondes avant mais... Elle avait tout de même besoin de calme, de solitude, et de faire un gros point sur elle-même.

Kureno pensait qu'elle ne serait pas tentée de répondre. Que ses questions étaient assez indiscrètes... et stupides. Mais Ayame répondit. Et le jeune homme perdit le sourire, d'abord de surprise. Il s'y était attendu, mais... Non. Elle ne se sentait vraiment pas bien. Le fait qu'elle soit malheureuse, plus qu'elle ne l'avait jamais été... C'était un coup à lui faire regretter d'avoir posé la question. Forcément, elle n'avait plus conscience de ce qu'elle était, de ce qu'elle devenait...C'était bête à dire, mais... Kureno fut au moins rassuré de voir qu'elle s'ouvrait à lui, qu'elle n'essayait pas d'éluder la question. Il le fut moins de voir que ses craintes étaient fondées. Et le peu de colère qui demeurait encore en lui, disparut bien vite, au fur et à mesure qu'elle s'exprimait. Même si... Kureno s'en voulait de s'en être pris à elle, pour une chose ou pour une autre, oui. Mais d'un autre côté, Ayame venait de lui dire qu'elle ne regrettait pas sa forme féminine... Qu'au contraire, celle-ci ne le caractérisait plus. Quitte à ce que leur relation soit compromise. Cependant, elle affirma que la seule chose qui la ferait retrouver partiellement son ancien corps, c'était Kureno. Et... Ce dernier ne savait pas trop comment le prendre. Est-ce que cela voulait dire qu'elle tenait réellement à lui, au point de sacrifier quelque chose qui la tenait à coeur ? Qu'il était la seule chose qu'elle regrettait vraiment du passé ? Ou... Qu'il était la seule chose qui l'envahissait encore ? Encore précédemment, Kureno avait eu l'impression d'être un boulet à ses yeux. Maintenant, il le ressentait moins... Mais y pensait encore. Dans le doute, il ne fit aucun commentaire, et ne répondit que par un regard perplexe, triste.

Elle n'était plus une femme ? Dans un sens, peut-être, mais... Qu'importe. Il était mélancolique à l'idée de penser qu'Ayame complexait auparavant, de peur de ne pas être vu comme une femme à ses yeux. Il pensait le lui avoir assez montré, pourtant... Il ne l'aimait pas en tant que femme. Il l'aimait en tant que personne. Et en ce moment, c'était encore vrai. Il l'aimait. Aussi... Il eut un frisson quelques instants plus tard, surpris par l'étreinte de son amie. Dire qu'elle l'avait repoussé auparavant... Pourquoi l'enlaçait-elle maintenant ? Il ne savait pas trop pourquoi, mais ça montrait bien qu'elle tenait encore à lui, malgré tout. Est-ce qu'elle l'aimait toujours ? Peut-être pas. Alors il ne tenta rien, d'autant plus qu'elle n'allait pas tarder à le laisser. Il en profita juste pour poser ses mains dans son dos, doucement, afin de profiter de ce contact sans l'emprisonner. Il se laissa faire quand elle posa sa main sur sa hanche. Ca ne le gênait pas... Au contraire, il aurait souhaité qu'elle prenne cette initiative pour de bon. Ce n'était pas quelque chose qu'il était capable de lui proposer. Et pourtant... Cela faisait des mois qu'il voulait essayer. D'abord pour vérifier si ça n'allait pas marcher malgré tout... Mais maintenant, c'était vraiment parce qu'il la désirait. Mais il n'était pas assez dedans pour tenter quelque chose de complètement dingue, comme ça avait été le cas pour leur premier baiser. Tant pis... Il la laissa quitter son étreinte, tandis qu'elle affirma qu'elle... Quoi ? Lui faire du mal à cause d'un changement d'humeur ? Mais... Kureno parut presque blessé en entendant ça, pour elle, et pour lui. Pour elle parce qu'elle devait se forcer pour ne pas faire quelque chose dont elle avait envie... Et pour lui... parce qu'il en avait envie. Même si elle en arrivait à le tuer durant l'acte, il serait heureux d'avoir pu tenter le coup avec elle, sous cette configuration. Mais pouvait-il décemment lui répondre "Oh je veux bien que tu me violes hein !"... ? Non. Alors il se mit à sourire doucement, quand elle lui indiqua qu'elle irait surement contre sa volonté.

"Ne t'en fais pas, je comprends... Ca n'est pas facile pour toi, et..."

Il se sentait bête de ne pas savoir quoi répondre, alors qu'elle avait fait l'effort de s'ouvrir à lui. Il détourna les yeux, comme gêné, puis reprit la parole sur un ton un peu embarrassé, perdu.

"Merci de m'avoir répondu... et de me faire confiance."

Son sourire devint plus franc, et il se retourna vers elle pour le lui montrer. Il ne tarda pas à hocher la tête, puisqu'elle allait partir. Et il ne se sentait pas trop d'attaque à lui dire "A la prochaine alors" ou un simple "Sayonara". Kureno n'allait plus la retenir. Il en avait déjà assez fait avec elle. Pourtant... Il ne put s'empêcher de l'arrêter, une dernière fois. Il devait mettre certaines choses au point.

"Ayame... Quoique tu fasses, l'important c'est que tu ne le regrettes pas. Ne gâche pas ta vie juste pour moi..."

Un nouveau petit rire amical, et vaguement gêné. Apparemment, ça l'avait à faire passer la pilule plus facilement. Bref, Ayame n'allait pas tarder à y aller. Et dans la foulée, Kureno trouva le courage de prononcer deux derniers mots, sur un ton sympathique et presque optimiste.

"Allez ! Ciaaao !"

Elle n'avait pas à souffrir à cause de lui. Et l'ironie, c'est qu'elle devait penser l'inverse...

[et voici le grand final du n'importe quoi ]

Quelque chose ne tournait pas rond... Même maintenant, Ayame ne savait plus ce qu'elle voulait, et ne parvenait à anticiper les conséquences de ses actes... A moins qu'elle ne refuse d'admettre l'évidence? Un coup, elle voulait éloigner Kureno d'elle, pour le protéger, éviter de le blesser... L'autre, de lui mentir la déchirait à un tel point qu'elle faisait marche arrière et tentait d'abattre la distance qui se construisait peu à peu entre eux... Elle disait vouloir rompre, mais en un sens elle n'arrivait pas à s'y résoudre, et ce faisant rendait plus difficile les événements à venir... C'était de la faiblesse, de sa part. De la faiblesse égoïste. Le genre de trucs qu'elle ne se pardonnerait pas aisément. Elle serra le poing, inspira, expira... Il allait vraiment falloir qu'elle se prenne en main, et se botte mentalement les fesses un grand coup... Sinon, tout ce qu'elle avait dit à Angra ce matin dans la douche ne serait que vantardise. Et elle ne supporterait pas de ne pas parvenir à suivre ses propres démarches. Elle avait craqué, okay, ça pouvait arriver de temps à autre... Hors de question que ça ne lui arrive trop souvent. Pour ça, il allait falloir qu'elle se blinde... Et Dieu (hem) savait qu'elle pouvait être vulnérable quand il s'agissait de relations amoureuses, là où ailleurs elle résistait mieux qu'un alliage de titane...

En premier lieu, elle allait devoir contenir son sentiment de culpabilité. "Merci de me faire confiance"... hein? Comment aurait-elle pu ne pas faire confiance à Kureno, telle était la question... Il en avait fait tellement pour elle, et cela sans doute même alors qu'il ne s'en rendait absolument pas compte... Il avait été présent quand elle était seule, à faire semblant d'aller bien, à faire semblant de se complaire dans sa solitude bastonneuse, où tout n'avait plus eu que la couleur de la méfiance, des coups bas, du fric et de la manipulation... Oh, qu'on ne s'y trompe pas. L'univers dans lequel sa jeunesse avait baigné lui convenait. C'était le sien... Encore maintenant, et tant qu'elle serait encore "Ayame". Mais il y avait toujours eu quelque chose qui lui avait manqué: la sécurité, une présence invariablement aimante, un appui, une preuve que ce putain de monde possédait en son sein des trésors d'affection, et des vrais... Que lui offrait-elle en échange, hein? De l'anxiété, de la souffrance, du rejet, une trahison physique et sentimentale, et un danger permanent qui pesait au dessus de sa tête..? Cool. Elle regrettait que cette confiance ne puisse se permettre d'être réciproque... Le pire restait ce qu'il vint à lui dire en dernier lieu, tout de même. "Ne gâche pas ta vie juste pour moi"...? Blessée dans le vif, là où ça faisait bien mal, elle ne put s'empêcher de se tourner, et de planter un regard douloureux dans celui de Kuro... Quelle ironie... Sa vie était dors et déjà gâchée. Tout ce qu'il lui restait, c'était Kureno. Sa soeur à qui elle devait faire quitter la ville... Et Angra dorénavant. Même si ses sentiments n'étaient à l'origine pas naturels, la façon dont elle avait changé d'avis à son sujet, la manière dont les choses avaient évolué en elle, qui l'avaient amenée à tenter de le libérer quitte à prendre des risques, montraient bien qu'elle avait assez d'égards à son sujet pour s'inquiéter de son cas. Il n'y avait plus qu'eux pour la faire tenir... ses ailes à récupérer certes aussi, mais simplement pour des raisons de fierté. Mais pouvait-elle décemment le faire comprendre à Kuro, lui montrer l'étendue de son désespoir..? Absolument pas, non. Sauf si son but était de le faire s'inquiéter doublement. Tant pis pour l'honnêteté qu'elle tentait de prêcher depuis tout à l'heure. Elle serait une salope, mais au moins ça serait pour une bonne raison. Elle simula un sourire, ma foi pas trop mal réussi pour une fois:

"Ne t'inquiète pas pour ça. A plus... On se voit demain j'imagine..."

Un bref salut de la main, elle se retourna pour de bon ce coup-ci. Et elle enclencha la marche avant de manière plutôt raide... Malgré tout ce qu'elle essayait de s'ancrer dans la tête depuis tout à l'heure, elle ne parvenait à y voir clair, ne parvenait à régler sa détermination sur le mode "100%" comme elle savait le faire en temps normal. Elle n'arrivait pas à se faire à l'idée qu'il allait lui falloir trouver le moyen de s'éloigner pou de bon de Kureno, malgré tout ce qu'elle lui avait dit... Elle ne parvenait à se faire à l'idée de laisser les choses telles quelles entre Angra et elle non plus, même si elle savait qu'ils ne pouvaient se permettre une relation... C'était comme si son coeur avait débordé sur sa volonté qui pourtant savait être titanesque lorsqu'il fallait... Elle se retrouva dans sa chambre en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire... Tout lui semblait irréel... Les cheveux par terre, le lit défait, sur lequel elle s'étala, se rendant d'ailleurs compte à ce moment que ses yeux étaient inondés pour de bon... Elle allait rester ici pour le reste de la journée vraisemblablement. Elle n'avait même plus le courage de sortir pour se changer les idées. Elle déconnait... Les certitudes d'une minute s'envolaient dans la minute suivante... Les efforts qu'elle avait prévu de faire un temps lui semblaient inutiles et insurmontables un autre... Pourquoi n'arrivait-elle plus à reconnaître le vrai du faux, le bon chemin du mauvais? Pourquoi fallait-il qu'elle ait cette impression violente de se trouver dans une impasse..? Perdue, elle ressentait sa solitude comme jamais. qu'aurait-elle du faire en fin de compte...? La question était à l'ordre du jour.