Retour au Pays

Retour au pays

Wang Shelong, professeur de chinois à Hokubu, s'offre quelques jours de vacances chez lui, à Pékin. Ce récit fait suite au post dans l'appartement de Wang. Je l'ai placé ici puisqu'il n'a pas sa place ailleurs. N'y répondez pas, s'il-vous-plaît.

Wang Shelong avait pris l'avion le sourire aux lèvres, heureux de retrouver sa mère et sa jeune tante, qui attendait maintenant un enfant. Enfin! Depuis le temps qu'elle attendait ça, et que Yue Ming voulait voir naître le petit prochain de la famille... En rentrant, la maison sera en fête, y'aurait pas de doutes. Et jiaozi à profusion!

Le vol se déroula normalement, Long étant très occupé à lire ou à somnoler. Il arriva à Pékin aux environs de vingt heures, et après quelques démêlés énervés avec les employés chargés de contrôler son passeport, Wang put retrouver sa famille. Ils étaient tous venus le chercher! Son visage s'éclaira en voyant Wang Yue Ming, sa mère, Li Xiao Ling, sa tante et Li Yang, son mari. Et aussi le petit dernier, encore bien caché et pas encore nommé. Arrivant près d'eux, Shelong s'inclina respectueusement, et laissa Yang prendre son maigre bagage. Long avait laissé la plupart de ses affaires chez sa mère, et ne revenait en général qu'en prenant quelques livres, des vêtements fétiches ou ses affaires de toilette.

" Comme tu nous as manqué mon fils! "

" Vous aussi vous m'avez beaucoup manqué! " Répondit-il avec un sourire jusqu'aux oreilles.

Ils filèrent directement à la maison, qui était à quelques kilomètres de là. Yang déploya sa méthode habituelle pour éviter les bouchons: faire un gros détour. Tant et si bien qu'ils arrivèrent à la demeure familiale - assez spacieuse, il fallait l'avouer - plus d'une heure et demie plus tard. A peine entrés, les deux femmes repartirent dans la cuisines, puisque les jiaozi dont Long raffolait tant n'étaient pas prêts. Le jeune professeur se retrouva donc avec son oncle Li Yang, âgé d'environ une dizaine d'années de plus que lui.

" Tu dois être vraiment heureux, Yang! Après tout ce temps! "

" Oui, c'est certain! Il me tarde de savoir si c'est un garçon ou une fille! Que ce soit l'un ou l'autre, une chose est sûre: ce petit aura la beauté de sa mère! "

Wang Shelong sourit doucement, très touché par le petit bonheur familial des Li. Voir des gens aussi bienheureux suffisait à son propre bonheur, auquel d'ailleurs, il n'avait jamais vraiment songé. Il fut tiré de ses rêveries par Yang qui lui demanda en lui servant de l'alcool chinois:

" Et toi, c'est pour quand? "

" Quoi? Pardon... j'étais un peu.. distrait... "

" Je disais 'Et toi c'est pour quand?'. Tu as déjà trente ans et tu n'es toujours pas marié! "

" Je... mon travail est un peu prenant... et... je ne m'y suis jamais intéressé tu sais. Je sais pas si je serais capable de fonder une famille. Tout ça me fait un peu peur... "

" Peur? Tu as peur? Mais de quoi? "

" Hé bien tu sais, de ne pas être un bon mari ou un bon père... j'ai déjà du mal à être un bon professeur... "

" Tu exiges beaucoup de toi-même, Shelong, tu devrais parfois être plus indulgent... "

" On s'égare rarement en s'imposant des règles sévères! "

Yue Ming avait fait son apparition dans le salon, et avait surpris la conversation entre son fils et Yang. Elle rit un peu puis continua:

" Je suis heureuse que mon fils plaise tant à Confucius. Mais Yang a raison, tu devrais penser à te trouver une femme. Tu ne te sens pas seul? "

" Pourquoi devrais-je me sentir seul? Je vis au beau milieu d'une université grouillante d'élèves! Je vous assure... je ne me sens pas seul. "

Plutôt, il se sentait seul, mais il aimait la solitude. Seulement, il ne se voyait pas dire ça à sa mère et risquer de lui faire perdre la face. Il sourit, un peu gêné, mais elle insista.

" Ce n'est pas parce que tu es dans la foule que tu n'es pas seul, mon fils! D'ailleurs, je t'avais dit que j'avais une surprise pour toi! "

Oulà... Shelong se demandait bien ce que signifiait cette transition foireuse... Elle lui avait pas acheté une poupée gonflable ou adopté un bébé pour lui quand même? Nan, elle avait fait mieux.

" Lina! Viens donc ! Shelong, je te présente Huang Lina, la fille d'une amie. "

Entra alors une superbe jeune femme, peut-être un peu plus jeune que Long, et terriblement timide. Elle avait de longs cheveux soyeux qui lui encadraient le visage, sa mèche venant couvrir son front jusqu'à ses cils. Elle avait un petit visage, d'ailleurs tout chez elle était petit: ses mains, ses pieds, sa taille, ses hanches... Long avait l'impression de faire connaissance avec une poupée de bambou. Mais, tout sublimé qu'il fut par la vision de cette Lina, il n'en oubliait pas pour autant les intentions de sa mère.

* Elle joue aux entremetteuses maintenant x_x... Et merde, j'aurais du m'en douter... *

Extérieurement, il fit un charmant sourire à Lina, et se leva pour aller la saluer silencieusement. Mais conscient que les regards insistants et pleins d'étoiles de sa mère et de son oncle risquaient de faire paniquer Lina, déjà au bord de la crise, Shelong lui demanda d'une voix douce:

" Nous pourrions peut-être faire un tour, qu'en penses-tu? "

Bien sûr, sa mère devait être aux anges, croyant que son fils ne perdait pas de temps pour faire la cour à cette très jolie demoiselle. En réalité, c'était loin d'être son intention, il pensait plutôt faire le contraire.

Prenant son courage à deux mains, il alla dans le jardin avec Lina, laissant son regard s'égarer sur les étoiles avant de finalement lui avouer, avec une voix un peu triste:

" Je suis désolé que vous soyez mêlé à cela Lina. Je ne sais pas ce que ma mère vous a dit, mais personnellement, je me sens très bien comme je suis, et je n'ai pas envie qu'on vienne me présenter des prétendantes. Je suis sincèrement confus qu'elle en soit arrivée là... vous pouvez repartir chez vous, je ne suis pas intéressé. "

" Est-ce donc ainsi qu'un chinois parti à l'étranger parle à une demoiselle en revenant chez lui? "

Shelong fut surpris, et baissa la tête en rougissant. Il avait cru Lina plus timide et fragile que ça.

" Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous blesser. "

" Laissez... je suis juste un peu nerveuse... Vous savez c'est la première fois qu'on me présente à quelqu'un qui semble avoir autant de qualités. "

Long rougit de plus belle sous le compliment, et essaya de bredouiller une réponse. Cela n'eut pour seule conséquence que de faire doucement rire Lina.

" Vous êtes amusant, Wang. Vous n'avez pas du avoir beaucoup de rendez-vous dans votre vie? "

" Euh... Un seul... j'étais encore au collège, rien de sérieux... "

" Et depuis plus rien? "

" Non... ce... ce n'est pas mon genre... "

" Ah? Et quel est votre 'genre', dans ce cas? "

" Eh bien, je passe mon temps à lire ou à traduire... Ca m'arrive d'écrire de temps en temps aussi... "

" Quoi donc? "

" Des poèmes, en général. Mais rien de bien impressionnant! Je ne m'appelle pas Li Bai... "

" Pourriez-vous m'en réciter un? "

" Là, comme ça, tout de suite? "

" Oui. Vous ne vous souvenez pas de vos écrits? Vous semblez pourtant assez perfectionniste pour vous relire sans cesse... "

* Elle voit ma vie écrite au-dessus de ma tête ou quoi? *

" Bon, si vous insistez...
"La nuit sombre m'éclaire
Là-haut la Lune se cache
Un Nuage passe, la déchire
Puis revient en place, sage
Soudain vint un éclair
Qui vite, disparaît, lache
Le ciel montrant son ire
Déchaîne alors l'Orage. "
Ce n'est pas vraiment bon, n'est-ce pas... ? "

Lina resta muette un instant, les yeux perdus dans les étoiles, avant de répondre d'une voix éteinte:

" Non, c'est magnifique. "

C'est alors que Xiao Ling appela Long et Lina, les invitant à rentrer pour manger. Les jiaozi étaient prêts.

Li Yang vint réveiller son neveu, à sept heures tapantes. Il lui amena un costume traditionnel chinois en soie brodée, de très grande valeur vue la qualité de l'ouvrage. Décoiffé et mal réveillé, Shelong regarda le vêtement, son oncle et l'horloge, paumé quelque part entre les trois. Son cerveau fonctionnant au ralenti, Yang lui expliqua rapidement:

" Allez, dépêche-toi! Prend une douche et enfile ça! Il faut aller porter les cadeaux de fiançailles à Lina et sa famille! "

" Gné... que... QUOI? "

Non, c'était pas possible... Sa mère avait déjà passé la première étape du mariage, qui consistait à remercier l'entremetteuse, certainement la mère de Lina, avec des cadeaux, et avait fait passer la deuxième, le repas auquel les époux étaient conviés pour mieux se connaître, comme un simple dîner en famille. Shelong aimait sa mère, mais là, il regrettait sincèrement d'avoir remis un pied en Chine. Elle l'avait piégé! Elle avait tout préparé! Sur le coup, Long eut un regard haineux, qui fit soupirer Yang.

" Ecoute je suis désolé pour toi vieux, mais le train est lancé. Si tu veux pas que ça déraille, continue à poser la voie et en vitesse! Prépare-toi, attache tes cheveux, et fais disparaître ces cernes! "

Shelong lui aurait bien dit, à ce putain d'oncle et à toute cette putain de famille qu'il ne voulait pas être marié à une femme aussi insipide, qu'il ne voulait pas donner de cadeaux à sa famille, qu'il ne voulait pas lui faire de gosse, et que s'il avait des putains de cernes, c'est parce qu'il n'avait dormi que trois heures! Et encore! Il avait très mal dormi!

Yang ferma la porte, et laissa Shelong seul avec le vêtement, qu'il avait envie de déchirer. Puis, la haine laissa place à une grande tristesse, que Long refoula en se prenant la tête entre les mains. Comme l'avait dit Yang, il était trop tard maintenant. Il ne pouvait plus faire marche arrière. Il alla jusqu'à la salle de bains, au même étage, avec le costume de soie. Il se lava, avec un entrain et une expression pile entre la mort, le coma et le sommeil. Il sortit de la douche et se sécha, observant son air morne dans le miroir. Allez, Long, fait un sourire. Ne déçois pas ta mère. Qu'elle aille au diable ! Non non non, c'est ta mère, alors tu ne la déçois pas. Elle a pas le droit... Mais elle l'a fait. C'est trop tard, alors tu discutes pas, et tu souris.

Lentement, le reflet se mit à sourire. Au début, ce n'était franchement pas convaincant, mais bientôt, il réussit à se faire croire qu'il était vraiment heureux à l'idée de se marier. Il enfila le vêtement, pile à sa taille, et brossa ses cheveux, qu'il attacha soigneusement, comme Li Yang le lui avait recommandé. Il se passa un coton imbibé d'eau glacée pour faire disparaître ses cernes, puis sortit de la salle de bains, une fois son apparence satisfaisante.

Il descendit les escaliers pour être accueilli par sa mère rayonnante et affairée:

" Vite vite Long, aide-nous à porter tout ça dans la voiture! "

Shelong n'en croyait pas ses yeux. Sous ces derniers, il voyait de la vaisselle, plusieurs services à thé, des taies d'oreiller dont il soupçonnait qu'elles avaient été confectionnées par sa mère, des draps brodés avec des dragons, une housse de couette dans le même genre, et des plateaux débordants de fruits secs et de gâteaux traditionnels. Elle avait vraiment préparé le coup. Depuis au moins un an, à en croire le nombre d'objets qui semblaient avoir été faits à la main. Long en était sidéré.

Il aida néanmoins les autres à charger ça dans la voiture, puis une fois que tout était en place, il grimpa dedans, sachant très bien ce qui allait se passer. Les évènements d'aujourd'hui avaient été délibérément faits pour le prendre au dépourvu. Sa mère le connaissait bien, il n'irait pas piquer une crise de colère, pas plus qu'il ne s'enfuirait. Elle avait raison, et elle en avait profité pour mettre en place ses fiançailles le lendemain de son arrivée, fiançailles sur lesquelles on ne pouvait pas revenir.

Shelong se sentait comme un animal pris au piège. Un animal assez robuste pour ne pas perdre tout son sang et mourir quand le piège à loup s'était refermé sur lui, mais assez fragile pour en saigner quand même, et trop affaibli pour s'en extirper. Shelong senti une crise d'angoisse monter quand il se demanda s'il pourrait retourner enseigner au Japon. Il avait tellement peur de ne pas pouvoir le faire... Il cessa d'y penser, ne voulant pas pleurer devant les siens. Mais la boule dans sa gorge ne voulu pas partir.

Ils arrivèrent chez Lina à peu près une heure plus tard. Tout le monde chez les Huang était tout sourire, bien habillé pour l'occasion. Yue Ming se tourna vers son fils, qui prit la paire de baguettes cérémoniales, symbolisant la fertilité et l'enfant mâle, et alla la donner avec gravité à sa future épouse. Cette dernière les accepta avec un sourire qui n'était, celui-là, pas feint, et invita Shelong et sa famille à entrer dans la maison. Yue Ming et Shelong amenèrent les autres cadeaux à Lina et sa famille, et une fois la cérémonie finie, le futur marié s'aperçut qu'il était déjà presque neuf heures et demie.

Ils s'assirent tous autour d'une table, les Wang et le Li d'un côté, et les Huang de l'autre. Le regard de Long se faisait fuyant: il ne voulait plus regarder Lina, ni aucune des autres personnes qui se trouvait dans cette pièce. Ils l'avaient tous trahi. Mais les autres se fichaient bien de ce que Long ressentait, du moins c'était l'impression qu'il en avait. Ils discutaient joyeusement, se réjouissant du futur mariage.

Avec la chance qu'il semblait avoir, ce qui devrait être fait sur plusieurs mois allait s'enchaîner sur quelques jours. Il ne restait pas plus d'une semaine en Chine, normalement, alors le mariage serait contracté cet après-midi même, le banquet serait ce soir et après... Shelong ne voulait même pas y penser. Ne s'intéressant pas à la discussion, il crut qu'il allait s'endormir devant tout le monde. Mais il se retint quand même.

Les convives chantaient et riaient, en mangeant bruyamment. Yue Ming et Xiao Ling avaient concocté des plats sophistiqués et coûteux, que Long aurait mieux apprécié s'ils n'étaient pas le plat principal de son mariage forcé. Il y avait de la nourriture à profusion, tant et si bien que les bols semblaient se remplir plus vite qu'ils ne se vidaient. La tante de Lina aida Yue Ming et sa soeur pour servir les plats et les débarrasser. En face de Lina, au beau milieu de la table, Shelong semblait avoir fait voeu de silence.

" Votre mère et votre tante sont de très bonnes cuisinières Long! "

" Hmm hmm. "

" C'est très joli chez vous! Assez grand pour quelques personnes de plus. "

" Hmm hmm. "

" Vous pourriez dire autre chose, Long. Faites au moins semblant. "

" Hmm... hmm hmm. "

" Bon, au moins y'a du changement! Allez, reprenez du riz et du poisson, vous irez mieux. "

" Hmm hmm. "

Shelong, toujours muet, semblait se noyer dans l'alcool de riz et la bouffe. En même temps, vu le nombre de bouteilles et de plats, il avait largement de quoi faire. Lina le regardait avec une pointe de pitié, ce qui finit d'agacer son mari. Ce dernier fit semblant de rien, mais il détestait être pris en pitié. Il n'avait pas besoin d'une femme condescendante! Il n'avait pas besoin de femme du tout d'ailleurs!

Lina servait et reservait les convives en alcool de riz, jusqu'à ce que les trois quarts furent au bord du coma éthylique, Long le premier. Il n'avait pas décroché un mot de la soirée, se contentant de ses 'hmm' indifférents. Même l'alcool ne lui avait pas délié la langue.


Finalement, les convives partirent se coucher. Yue Ming avait prévu des matelas pour la famille Huang, qui occupèrent le salon. Yang, qui dormait sur sa chaise, fut réveillé pour aller rejoindre son lit, avec Xiao Ling. Yue Ming et Lina finirent de débarrasser la table, alors que Shelong était partit se changer et se mettre la tête sous l'eau. Pas pour se noyer, même s'il y avait pensé, juste pour se réveiller un peu. Il but également beaucoup d'eau, pour faire baisser la concentration en alcool dans son sang, ce qui marcha plutôt bien vu la quantité d'alcool ingurgitée.

Il eut pour réflexe d'aller dans sa chambre, qui n'était plus la sienne désormais. Yue Ming avait déménagé de la chambre qu'elle avait occupé avec son mari jusqu'à une petite pièce, et ne tarderait pas à récupérer celle de Shelong, une fois ses affaires déménagées.

" Viens voir notre chambre!" Lança Lina, joyeuse à l'idée de passer sa première nuit avec un homme.

Shelong était à peine sortit de la salle de bains, encore habillé, qu'il fut entraîné jusqu'à la chambre conjuguale. Voilà qui était effrayant. Le lit était fait, la chambre impeccable. Avec un soupir résigné, Long ferma la porte derrière lui, et retira sa tunique et son pantalon, pour rester en slip, comme il en avait l'habitude pour dormir. Sans attendre Lina, il s'allongea sur le lit, choisissant le côté droit - en regardant le lit en face - instinctivement. Il était crevé. Lina le regarda faire, un peu surprise:

" Shelong... j'ai besoin d'aide... pour retirer ma robe. "

" Y'a pourtant qu'une fermeture et elle est à votre portée. " Répondit-il agacé.

" Non, je n'arrive pas à l'atteindre... "

Avec un soupir bruyant, Shelong se leva pour actionner la fermeture de la robe, découvrant en dessous une guêpière rouge et noir. Lina retira le reste du vêtement, montrant la petite culotte et le porte-jarretelles qui allaient avec.

* Ca va elle met pas de string... *

Là, Long en aurait sûrement fait un malaise. Seulement, dans cette situation, il se contenta de faire un sourire ironique et de répliquer:

" Je suppose que vous aurez encore besoin de mon aide pour retirer tout ces trucs. "

Vu comment il s'y connaissait, ça allait être marrant tiens. Lina hocha la tête avec un grand sourire, mais prit la main de Long pour la poser sur sa taille. Il eut du mal à avaler sa salive là, et son regard devint fuyant.

" Vous êtes amusant. "

Elle n'attendit pas plus longtemps pour sauter au cou de Shelong et lui déposer un chaste baiser sur les lèvres. La réaction de Long fut purement physiologique, sans oublier de dire qu'il avait rougi sous la surprise. Mais quand Lina voulu pousser le baiser plus loin, Shelong la repoussa avec douceur.

" Je... je peux pas. "

" Vous savez pourtant ce qu'ils attendent de nous. "

" Je sais bien mais... "

" Il n'y a pas de 'mais'. Et puis on peut se tutoyer maintenant, non, puisque tu vas me faire l'amour. "

" C'est impossible, je peux pas... Je ne vous aime pas. "

" TUTOIES-MOI ! JE SUIS TA FEMME! "

Hurla alors Lina, vexée, alors qu'elle donnait une gifle magistrale à Shelong, qui resta sous le choc. C'était la première fois qu'on le frappait. Profitant de ce qu'il était devenu apathique, Lina poussa Long jusque sur le lit. Ce dernier se réveilla enfin, et, apeuré, il se recula jusqu'à ce que son dos tape dans la tête du lit.

" Tu es sensé avoir trente ans, mais tu te comportes comme un gamin de dix ans! Grandit un peu ! "

Shelong resta muet, les yeux baissés. Quand Lina vint l'embrasser pour la deuxième fois, il ferma les yeux, comme pour se convaincre qu'il était ailleurs et que tout ça n'arrivait pas, que ce n'était qu'un mauvais rêve. Mais cette langue qui venait s'introduire dans sa bouche était bien réelle, tout comme la main qui s'insinuait dans son slip. La suite de cette horrible nuit de noces fut un enchevêtrement cauchemardesque de larmes et de cris.

Shelong ouvrit un oeil, visiblement mal réveillé. Sans compter ce que Lina lui avait fait subir, il avait très mal dormi quand même. Long n'était pas habitué à dormir avec quelqu'un: il avait passé la moitié de la nuit sans couvertures. Il finit par ouvrir le deuxième oeil. Il devait être au moins midi vu comment le soleil éclairait la pièce. Lina était là, et rangeait sa robe dans l'armoire. En le voyant se réveiller, elle sourit et lui lança:

" Le champion se réveille enfin! C'est l'alcool ou le manque d'expérience qui t'a rendu si médiocre cette nuit? "

C'était pas vrai... Cette connasse le faisait chier dès le matin, le tournait en ridicule et lui faisait perdre la face. Elle le faisait exprès, c'était évident. Malgré son pacifisme, Long avait bien envie de lui coller un bon coup de poing, mais se retint. Lina irait se plaindre de violences conjuguales, même si vu le caractère de Long, ça paraissait quand même énorme. Quant à lui, il n'osa rien dire. Sauver la face, voilà qui était important. Personne ne devait savoir ce qui s'était réellement passé cette nuit.

Epuisé, moralement plus que physiquement, Long se rallongea aussi sec dans le lit, le regard vide planté dans le plafond. Il attendit que Lina sorte de la pièce pour faire un nouveau mouvement. Il se leva, alla chercher des vêtements, puis passa à la salle de bains. Sous la douche, l'eau se mêla à ses larmes, comme pour les camoufler, ou au contraire, les rendre plus évidentes. Il se sentait honteux, et sale. Jamais il n'avait été d'aussi piètre humeur. Une fois lavé, séché, habillé, il sortit de la salle de bains, et alla manger. Il ne décrocha pas un mot à personne. Seule Xiao Ling semblait s'inquiéter pour lui, mais il répondait à ses 'Ca va?' par un regard noir de bête blessée. Il haïssait la compassion et la condescendance. Xiao Ling comprit plus ou moins, et ne demanda plus rien à Shelong.

La suite des vacances fut aussi pénible que ce jour de mariage. Supporter l'hypocrisie et les sourires de Lina la journée et sa violence la nuit... Long se demandait comment il faisait pour ne pas craquer. Il se débrouillait pour que personne ne s'en aperçoive, ne criant jamais sur Lina, et ne levant pas le petit doigt sur elle. Ca serait trop beau! Aussitôt, elle irait se plaindre à tous les tribunaux de Chine pour violences conjugales. Ce serait un comble de l'ironie, alors qu'elle utilisait volontairement le plat de la main pour ne pas laisser de traces. Shelong se demandait bien comment elle en était venue à cela. A force de se faire rejeter, peut-être? Après tout, elle avait eu l'air très heureuse de se marier, a contrario de Long, qui serait bien resté célibataire, surtout si c'était pour finir avec une furie pareille. Ouais, elle devait avoir un sacré complexe d'infériorité pour agir ainsi. Et c'était Long qui prenait pour tous les hommes qui avaient flairé l'arnaque et qui lui avait dit non. En même temps, Long n'avait pas dit oui non plus.

Bien sûr, il pourrait toujours aller se plaindre aux autorités mais... franchement, ce serait vraiment pas crédible et ce serait la honte totale. Après tout, Lina arrivait aux épaules de Long, elle devait peser vingt kilos toute mouillée, et avait des bras comme des baguettes. Il n'était pas difficile pour Shelong de se défendre, mais il ne le faisait pas, ça lui ferait trop plaisir. Il ne criait pas non plus, à la fois pour ne pas alarmer sa famille, et surtout pour rendre la chose ennuyeuse aux yeux de Lina. Cette dernière se lassait et le laissait tranquille.

Lors d'un repas, Shelong glissa doucement une allusion à la fin de ses 'vacances' et à son travail. Sa mère ne parut pas vouloir le retenir en Chine, ce qui fit naître une nouvelle lueur d'espoir dans le regard de Long. Lina la vit, et insista aussitôt pour qu'il reste. "Un homme marié doit rester avec sa famille! Il y a bien assez de travail ici!" Yue Ming refusa net, ou du moins aussi net qu'on le pouvait en lui laissant la face sauve. "Peut-être, Lina." Ca, ça, voulait dire non, simplement. Shelong, habitué à se faire silencieux depuis son mariage, répondit alors à sa femme: "Il est hors de question que j'abandonne mon travail, il me plaît. C'est non." Et il articula bien, pour que Lina se sente aussi bafouée que lui l'avait été. Et tant pis si elle se déchaînait sur lui ce soir. Après tout, qu'il soit mesquin ou pas la journée, ça ne changeait rien la nuit, alors autant en profiter. Yang, Xiao Ling et Yue Ming sentaient bien le malaise entre les deux jeunes mariés, mais ne dirent rien, même quand l'air séparant Lina et Shelong semblait se transformer en électricité.

Faisant la démarche dans le dos de toute la famille, Lina alla à l'ambassade pour obtenir un visa lui permettant de suivre son mari au Japon. Il lui fut refusé. En rentrant à la maison ce soir là, elle fut encore plus furieuse, et quand Long lui demanda pourquoi, la réponse le fit rire. Un rire plein de joie que Lina s'empressa de calmer.

Finalement, une semaine plus tard, Shelong fit ses valises, reprenant le maximum de livres qu'il pouvait - notamment ceux traitant de l'Histoire de Chine, de la philosophie et de la politique, ainsi que ses classiques confucéens et son Daodejing* - se doutant un peu de ce que Lina était capable de leur faire pendant son absence. Il vida aussi ses armoires de vêtements, ne laissant que ceux dont il ne voulait plus. Le message était clair: je repars pour ne plus jamais revenir. Il lui fallut un deuxième sac, et il fut assez soulagé que sa mère ne dise rien quant à ce comportement. Ca lui aurait arraché la gueule - ou la face plutôt - d'avouer qu'elle avait fait une erreur en choisissant Lina, ou même en mariant son fils sans lui demander son avis, alors il ne lui en voulut pas de ne pas s'excuser.

A l'aéroport, comme d'habitude, sa mère et sa tante pleurèrent son départ. Lina s'y était mise aussi, et bien que Shelong s'attendait à une comédie, ses larmes paraissaient sincères. Long ne pleura pas cette fois: il était trop content de reprendre l'avion. Qu'elle pleure, cette harpie! Elle n'avait qu'à se trouver un amant masochiste, elle sera heureuse. Long n'avait vraiment pas l'intention de la revoir. Et tant pis s'il devait faire une croix sur sa mère, sa tante et son oncle qu'il aimait tant.

Une fois hors de vue de sa famille, il soupira de soulagement, et se laissa aller à un sourire triste. Jamais vol ne fut plus long, tellement il avait hâte de toucher le sol japonais. Une fois arrivé au Japon, il prit son temps, et mangea dans l'enceinte de l'aéroport, chose qu'il faisait rarement. Il prit ensuite un taxi jusqu'à Hokubu, l'odeur sucrée de la nourriture japonaise lui emplissant encore les narines. Les takoyaki avaient remplacé les jiaozi.

Fin!
(Haha, j'en suis quand même venue à bout! )
* C'est le Tao te King, ouvrage philosophique taoïste de Laozi (Lao Tseu)

Deuxième partie

Le samedi 2 février 2008.

Comme d'habitude, le samedi vers 16h, le téléphone personnel de Shelong sonna. Il décrocha, mais quelque chose avait changé. Quelque chose qui l'inquiéta tout de suite. Ce n'était pas sa mère, Yue Ming, mais sa tante, qu'il considérait comme sa grande soeur, Xiao Ling, qui l'appelait. Après les salutations d'usage, Long n'y alla pas par quatre chemins:

" Ling, pourquoi ce n'est pas ma mère qui m'appelle? "

" ... C'est pour ça que je t'appelle, en fait. Il faudrait que tu rentres... "

" Mais... "

" Je sais que je te demande beaucoup, mais Yue Ming ne va pas très bien en ce moment, ce serait bien si tu lui rendait visite... "

" Qu'est-ce qu'il se passe?!? " Shelong, déjà pas très bronzé en temps normal - même pour un chinois - devenait de plus en plus pâle. "Elle est malade? "

" ... Oui. Elle demande après toi. "

" Qu'est-ce qu'elle a? "

" Au début on croyait que c'était une grosse grippe... "

" Je te demande pas ce que vous croyiez qu'elle avait mais ce qu'elle a! "

Shelong s'énervait, redoutant pour la vie de sa mère. Sa voix tremblait de plus en plus, tout comme la main qui tenait le téléphone. Il entendit sa tante sangloter à l'autre bout du fil, avant qu'elle n'annonce:

" C'est... c'est une leucémie aiguë... "

Long ne répondit rien: que pouvait-il bien dire? Il resta là, sous le choc, la bouche entrouverte, tremblant comme une feuille, et les yeux mouillés. C'était très grave là... Il fallait vite qu'il revienne auprès de sa mère, sinon... elle allait partir... et... Non, il préférait ne pas y penser. Il respira un grand coup, se retenant de craquer, et murmura à sa tante:

" Je... je devrais pouvoir rentrer... d'ici demain, ou après-demain. Dis-lui... dis-lui que je viendrais. "

Sur le coup, Lina n'existait plus. Il devait rentrer voir sa mère, c'était son devoir le plus élémentaire en tant que fils. Et alors, après un 'au revoir' faible et à peine audible, il raccrocha, et laissa son téléphone choir sur le sol. Bientôt, il fit de même, ne tenant plus sur ses jambes. Au beau milieu de son petit salon, à genoux, Shelong pleurait, son visage caché dans ses mains. Qu'avait-il donc fait au Ciel pour qu'il s'acharne ainsi sur lui?

La silhouette de l'hôpital était effrayante. Shelong redoutait presque d'y entrer, même s'il savait qu'il devait le faire, peu importe dans quel état sa mère s'y trouverait. A ses côtés, Lina, Xiao Ling et Yan restaient silencieux. Entrer dans cet hôpital était presque pire que d'entrer dans un funérarium.

Mais Yue Ming était encore bien vivante, malgré sa faiblesse. Long essaya de ne pas se précipiter en entrant dans sa chambre, mais en vain. Sa tante, son oncle et sa chère femme restèrent un peu en retrait, laissant la mère avec son fils, tous deux en pleurs.

" Pardonne-moi... "

" Maman, qu'est-ce que tu dis? Tu n'as rien à te faire pardonner... "

" Long... Je suis heureuse de t'avoir pour fils. "

Shelong s'effondra, ne tenant plus sur ses jambes. Il avait déjà oublié ses trois autres proches parents qui étaient dans la pièce, et serrait la main de sa mère en sanglotant.

Seulement, il n'eut pas le temps de s'apitoyer sur le sort de sa mère, puisque bientôt, Xiao Ling posa un genou à terre, tout comme lui. Mais pas pour les mêmes raisons: elle venait juste de perdre les eaux.

Heureusement pour Xiao Ling qu'ils étaient déjà à l'hôpital: elle fut tout de suite prise en charge dans le service adéquat. Mais Shelong resta encore un peu avec sa mère.

Pendant ce temps, Yan et Lina accompagnèrent Ling jusqu'à la maternité, où on lui annonça qu'elle allait accoucher d'ici peu. Bientôt, le travail commença, et Lina dut patienter dans la salle d'attente: seul le mari était autorisé dans la salle d'accouchement.

" Ling a-t-elle déjà trouvé un prénom? "

" Je n'en sais rien Maman... "

" Et ton enfant à toi, comment vas-tu l'appeler? "

" Je ne sais pas non plus... Si c'est une fille, Xing; si c'est un garçon... Cheng? "

" Une étoile et ... ? "

" Le verbe 'devenir'. "

Yue Ming sourit doucement:

" Tu as beaucoup de goût. A côté, Shelong n'est pas un prénom très bien choisi... "

" Non, tu as tort: j'aime beaucoup ce prénom. "

" ... Merci, Shelong, de ne pas me détester... "

Long n'eut même pas le temps de réagir: un grand bip se fit entendre dans la chambre, et aussitôt, des infirmières envahirent l'endroit. La sentence tomba comme un couperet:

" Heure du décès: 16h12. "

" Heure de la naissance: 16h17. C'est une fille: comment allez-vous l'appeler? "

" Ah... " La déception filtrait dans la voix de Ling, qui lança pourtant avec enthousiasme: " Rongniang! "

Yan était visiblement déçu aussi, mais essayait de ne pas le montrer. Lina, elle, attendait toujours, ne voyant personne venir vers elle. Rien d'étonnant, soit dit en passant.

Mais même déçue, Ling s'attendait à ce qu'on lui apporte Rongniang, or il n'en fut rien. A vrai dire, pas un bruit n'avait retenti dans cette salle. Il y avait un problème avec Rongniang? Apparemment oui. Ling n'entendait rien, mais Yan avait plus ou moins compris: on le fit sortir de la salle et on emmena Rongniang dans une autre salle.

" Alors?!? ^^ ... Que se passe-t-il, Yan? " Lina était inquiète à présent.

" Le bébé ne semble pas aller bien... "

" C'est grave? "

" Je n'en sais rien... "

Li Yan se laissa tomber sur une des chaises de la salle d'attente, l'air abattu. Dans la salle d'accouchement, les infirmières s'occupaient de Xiao Ling, mais sans l'informer à propos de sa fille. Plusieurs minutes passèrent, quand un médecin entra enfin:

" Je suis désolé. Nous n'avons rien pu faire... Votre fille est morte. "

" Quoi... ? "

Le cri que poussa Ling se fit entendre jusque dans la salle d'attente, où Lina et Yan patientaient. Le médecin ne tarda pas à sortir, pour lancer:

" J'ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer... "

" Moi aussi. "

Shelong était arrivé lui aussi. Autant dire que Lina et Yan étaient choqués, alors même qu'ils ne savaient pas ce qu'il se passait. Mais il fallait être vraiment très bête pour ne pas deviner.

" Rongniang est morte. "

" Yue Ming aussi. "

Les jours qui suivirent furent naturellement constellés de pleurs, et ce pour toute la famille, même Lina. Il fallait dire qu'elle avait quand même passé de bons moments avec Yue Ming... maintenant elle se retrouverait seule avec Xiao Ling et son mari. Si la première s'en méfiait assez peu, le second ne pouvait absolument pas la voir. Comme s'il avait deviné ce dont elle était capable.

Mais ces quelques jours de déprime furent aussi un répit accordé à Shelong. A croire qu'il faisait tellement pitié que même Lina n'osait le frapper. Long se sentait vraiment misérable, et honteux de n'avoir pas pu être là plus tôt. Pas qu'il regrettait son travail au Japon - travail qu'il aimait par dessus tout - mais il avait la douloureuse impression d'avoir manqué à tous ses devoirs de fils. Bien sûr, ni Ling, ni Yan ne lui en tenaient rigueur. D'autant plus qu'ils avaient une autre personne à pleurer... C'était si triste tout de même... Et la situation était d'autant plus douloureuse que les espoirs et l'avenir de la famille n'étaient incarnés que par l'enfant que portait Lina. Cet enfant dont Shelong n'avait jamais voulu.

D'ailleurs, malgré son chagrin, Xiao Ling ne put que se réjouir de la bonne santé de Lina, ce qui déconcerta un peu Shelong. N'étant pas dupe, elle le remarqua, et demanda à parler avec lui en privé.

" Lina... elle ne te plaît pas? "

* C'est un euphémisme... * " Non, pas vraiment. "

" Ce n'est pas dur de le remarquer... "

Shelong resta silencieux.

" Si tu ne veux pas en parler, ce n'est pas grave... mais laisse-moi te dire quelque chose: ton enfant est innocent. Il n'y est pour rien dans ce qui arrive. Tu seras un bon père, j'en suis sûre. "

" J'en doute... Je n'ai aucune idée de ce qui m'attend... et puis... je me vois mal l'élever correctement avec une mère pareille. "

" Elle est si terrible que ça ? "

" Là, elle s'est calmée... Sinon, c'est une vraie ogresse. "

" Je suis désolée... "

" Tu n'as pas à l'être, voyons! Ce n'est pas ta faute... c'est la faute de personne. "

Xiao Ling fut touchée de voir que malgré tout ce qu'il pouvait endurer - et son imagination était bien en-dessous de la réalité - Shelong était décidé à ne pas blâmer sa mère, l'instigatrice de ce sinistre mariage. A présent que Lina était enceinte, Long était dans l'incapacité de divorcer, et ce jusqu'à ce que le marmot ait au moins un an... Autant dire qu'il ne pourrait pas s'en débarrasser avant une éternité! Même s'il commençait à avoir quelques petites idées...

Shelong faisait de nouveau connaissance avec l'avion qui le ramènerait vers sa monotone mais paisible vie japonaise. La séparation ne fut pas spécialement difficile, mais Shelong avait bien vu que Xiao Ling aurait préféré qu'il reste encore un peu, ne serait-ce que pour en savoir plus sur ce qui se passait entre lui et Lina.

Cette dernière par contre, s'était largement calmée. C'était peut-être à cause des deux enterrements, qui sait? Mais Shelong espérait que ce n'était pas ça, parce que sinon, ça voudrait dire qu'elle recommencerait tôt ou tard. Mais le constat de ces quelques jours passés avec elle était tellement beau que ça ne pouvait être vrai: elle n'avait pas levé la main une fois sur lui. Ou alors c'était parce qu'elle était enceinte? Enfin, elle n'était pas encore très grosse quand même, elle aurait pu se permettre quelques baffes. Shelong restait perplexe, alors qu'il s'asseyait tranquillement à la place qui lui était assignée.

Après quelques minutes de vol, calé entre la musique de son lecteur et le livre qu'il lisait assez distraitement, Shelong vérifia s'il avait bien son portable. Bien sûr, il n'allait pas l'utiliser en vol, chose dangereuse et interdite, mais il fut rassuré de l'avoir. Puis la fatigue aidant, il finit par somnoler.

Il se réveilla alors que l'avion commençait sa descente vers l'aéroport de Narita. Précipitamment, il rangea son lecteur et son bouquin, puis attacha sa ceinture en attendant l'atterrissage. Ce dernier s'effectua en douceur malgré le vent qui tempêtait à l'extérieur. Une fois l'appareil arrêté, Shelong se leva et reprit ses affaires. Suivant les autres passagers, il alla jusque dans le hall d'un des terminaux de l'aéroport. Mais il ne sortit pas. Certes, il n'aimait pas voir la gueule de Lina au sortir de l'avion en Chine... mais là, savoir que personne ne l'attendait...

Long soupira, et sortit son téléphone portable. Il ne voulait pas rentrer seul, cette fois.

[Fin! ]

Shelong s'approcha du berceau, où gigotait son fils. Il était si petit, il avait l'air si malingre, que malgré toute la haine que Long éprouvait pour sa génitrice et ce qu'elle lui avait fait pour en arriver là, il ne pouvait pas ne pas l'aimer. Shelong se tourna vers Li Yan, qui sourit, puis se mit à rire, rejoint par Long. Chunxue, lui, ne voyait pas vraiment ce qu'il y avait de drôle, on l'avait réveillé en pleine sieste !

Si Li ne l'avait pas poussé un peu du coude en souriant, Long n'aurait probablement jamais osé prendre le petit Chunxue hurlant dans ses bras. Il avait bien trop peur de le casser, ce p'tit bonhomme ! En le regardant, Shelong ne put s'empêcher de sourire. Sa peur face aux responsabilités d'un père ne s'était pas envolée, mais elle était calmée, ne serait-ce que par le fait de le tenir dans ses bras. Chunxue s'arrêta un instant de hurler et de pleurer, et regarda de plus près celui qui le tenait dans ses bras. Puis il se remit à râler sur Shelong, non sans essayer de lui attraper les cheveux. Son père rit doucement, et le berça un peu dans ses bras. Chunxue devait se rendormir, il n'était pas encore l'heure de manger de toute façon. Exténué, le petit referma bien vite ses yeux. Long caressa alors sa tête... et sentit une légère bosse.

Pris d'un doute, il posa délicatement Chunxue sur sa table à langer, où il se réveilla et se remit à donner de la voix.

" Long qu'est-ce que tu... "

" Attends. "

Shelong alla ouvrir un peu les rideaux, juste assez pour avoir un peu de lumière sans gêner son fils. Puis, il alla examiner ses bras, ses jambes. Il lui retira même son body, quoique pas entièrement.

" Yan, c'est quoi ces marques ? "

" Ne me dis pas que... "

" C'est possible, non ? "

" Mais elle ne te frappe pas toi, pourtant. "

Shelong garda le silence.

Après s'être séché et habillé, Shelong alla s'enfermer dans sa chambre, en tête à tête avec un livre de Kawabata. Il était plongé si profondément dans son bouquin qu'il n'entendit pas tout de suite sa tante frapper à sa porte. Une fois que le son fut parvenu jusqu'à son cerveau, il se dépêcha de refermer le livre, et alla ouvrir à Ling.

" Que se passe-t-il Long ? Lina s'est remise à saigner et... Oh non c'est pas vrai ! "

Ling venait juste de remarquer le visage tuméfié de Shelong, qui s'efforçait de faire bonne figure. Il alla s'asseoir dans son lit, et invita sa tante à faire de même. Cette dernière referma la porte et s'assit.

" Alors elle te frappe... ? "

" Faut croire... Elle s'en prend aussi à Chunxue. "

" Quelle horreur... "

La pauvre Li Ling était choquée, et ce même si elle s'en doutait. Elle avait beau chercher, pourtant, elle ne voyait pas d'issue à cette situation. Peut-être que Long avait une idée, mais elle... elle ne voyait qu'un grand mur contre lequel toute la famille allait s'écraser.

" J'aimerais que tu t'occupes de Chunxue pour moi. Je vais devoir repartir, et même si je demande la garde complète de Xue, je ne l'aurais pas avant longtemps. Je reviendrai pendant les vacances d'été pour mettre Chunxue sur mon passeport. "

" Et Lina ? "

" Inutile que je demande le divorce, il faudrait attendre que Chunxue ait un an. Mais parti comme c'est parti, il ne les atteindra jamais. "

Shelong soupira, et s'efforça de sourire à Ling. Il ajouta alors:

" Ne t'en fais pas, je trouverai une solution. Occupes-toi de Chunxue pour moi, et protège-le. "

Ling hocha la tête, et prit Shelong dans ses bras. Ce dernier, submergé par l'émotion, ne put s'empêcher de verser quelques larmes, avant de déposer un baiser sur le front de sa tante. Heureusement qu'elle était là.

" Et pour toi ? "

" Hmm ? "

" Tu vas rentrer ? "

" Je ne sais pas. "

" Tu sais, Lina ne peut pas sortir de sa chambre. Elle ne le fera pas, je ne pense pas. "

" Comment elle a fait pour Chunxue ? "

" Je lui apportais et elle le nourrissait... parfois il restait faire la sieste avec elle. "

Ling baissa les yeux, penaude.

" Tu n'as pas à te sentir coupable, Ling. Appelle les services à l'enfance si elle te le réclame, explique-leur tout, et arrange-toi pour la faire interner. Je paierai. "

Li Ling hocha la tête mais ajouta avec un petit sourire:

" On pourra se partager les frais, le magasin marche plutôt bien. "

Shelong hocha la tête également.

Il reprit l'avion le surlendemain, le visage toujours marqué. Une fois arrivé à Tokyo, il prit le train puis un taxi, mais ne rentra pas directement chez lui. Il était environ seize heures quand il sonna chez Himura-san.